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Consommation énergétique des LLM : état des lieux et perspectives en 2025

Les modèles de langage de grande taille (Large Language Models, LLM) ont connu un essor fulgurant, mais leur puissance a un coût énergétique élevé. Il est crucial de distinguer l’empreinte énergétique de l’entraînement de ces modèles, souvent très gourmande, de celle de leur utilisation au quotidien (inférence). De plus, le contexte d’exécution (grands clouds publics vs serveurs locaux/edge computing) influence fortement la consommation. Enfin, on observe des différences entre les LLM généralistes (ex : ChatGPT, Claude, Gemini) et les modèles spécialisés (médicaux, juridiques, éducatifs), ainsi qu’entre un modèle « brut » grand public et un modèle affiné par des techniques comme le RAG ou le fine-tuning léger. Cette analyse fait le point sur ces distinctions, les techniques actuelles d’optimisation énergétique (quantization, pruning, routage adaptatif…), l’état de l’art 2024‑2025 en matière de LLM éco-responsables, ainsi que la transparence des grands acteurs et les perspectives à horizon 2-3 ans.

Entraînement vs inférence : deux phases aux profils énergétiques distincts

Phase d’entraînement : l’entraînement initial d’un LLM mobilise des ressources massives sur une durée prolongée. Par exemple, entraîner GPT-3 (175 milliards de paramètres) a nécessité environ 1287 MWh d’électricité, émettant 502 tonnes de CO₂ (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Ce bilan équivaut aux émissions de 112 voitures à essence sur un an (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). D’autres estimations académiques font état de 284 tonnes de CO₂ pour un seul gros modèle entraîné (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Ces chiffres illustrent l’empreinte carbone considérable de la phase d’apprentissage. En 2023, l’entraînement de GPT-4 est encore plus énergivore : il aurait consommé autour de 7,5 MWh d’énergie, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 700 foyers américains (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports) – un chiffre qui souligne une hausse exponentielle par rapport à GPT-3 (même si les détails exacts restent non confirmés par le fabricant). L’entraînement est généralement une opération ponctuelle (quoique parfois renouvelée pour mettre à jour le modèle), mais son impact environnemental initial est majeur.

Phase d’inférence : une fois le modèle déployé, la consommation énergétique se poursuit à chaque requête utilisateur. De manière surprenante, l’inférence peut englober davantage d’énergie cumulée que l’entraînement sur la durée de vie du modèle (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Google estime ainsi que, pour l’ensemble de ses services d’IA, environ 60 % de l’énergie totale est consommée lors de l’inférence contre 40 % pour l’entraînement (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Chaque utilisation de modèle génère une dépense en calcul : répondre à des millions de requêtes quotidiennement devient énergétiquement coûteux. On a évalué que le fonctionnement quotidien de GPT-3 émettait ~8,4 tonnes de CO₂ par an (environ 50 livres de CO₂ par jour) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Surtout, une seule requête complexe à un LLM de la taille de ChatGPT peut consommer jusqu’à 100 fois plus d’énergie qu’une requête de recherche Web traditionnelle (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Cela s’explique par le fait que la génération de texte mobilise des milliards de calculs au sein du réseau de neurones, là où un moteur de recherche classique s’appuie sur des index pré-calculés. Certes, l’inférence d’un seul prompt d’utilisateur dépense moins d’énergie que tout l’entraînement du modèle qui l’a précédé, mais comme cette inférence est répétée des millions de fois sur la durée, son empreinte globale dépasse souvent celle de l’entraînement (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Il y a toutefois débat : certaines analyses soutiennent que pour des modèles peu utilisés, l’entraînement reste la part prédominante, tandis que pour des modèles très populaires (ChatGPT comptait déjà 100 millions d’utilisateurs deux mois après son lancement), l’inférence devient le principal poste de dépense énergétique (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). En pratique, les deux phases contribuent significativement, et leur optimisation est complémentaire : réduire les coûts de calcul lors de l’apprentissage et lors de l’utilisation est nécessaire pour diminuer l’empreinte globale des LLM.

Clouds publics vs serveurs locaux : où l’IA consomme-t-elle de l’énergie ?

L’exécution des LLM peut se faire soit dans de grands centres de données cloud (fournis par AWS, Azure, GCP, etc.), soit sur des infrastructures locales (serveurs privés d’entreprise, ou même dispositifs en périphérie – edge computing). Ces deux contextes présentent des profils énergétiques différents.

LLM généralistes vs modèles spécialisés : quelles différences de consommation ?

Les LLM généralistes (tels que GPT-4/ChatGPT, Google PaLM/Gemini, Anthropic Claude, etc.) sont entraînés sur des corpus extrêmement vastes et conçus pour exceller dans un large éventail de tâches. À l’opposé, des modèles spécialisés ciblent un domaine ou un usage particulier (par ex. un assistant médical, juridique ou éducatif). Cette spécialisation peut prendre deux formes : soit on entraîne un modèle de zéro avec des données spécifiques, soit (approche plus courante) on fine-tune un modèle pré-entraîné généraliste sur le domaine souhaité. Ces différences de vocation ont un impact sur la consommation énergétique.

  • Taille et complexité du modèle : Un LLM généraliste de pointe contient typiquement des dizaines voire des centaines de milliards de paramètres, car il doit modéliser finement le langage dans toute sa diversité. En 2019, GPT-2 comptait 1,5 Md de paramètres, GPT-3 en 2020 en avait 175 Md, et on estime (sans confirmation) que GPT-4 pourrait dépasser le millier de milliards de paramètres (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). À l’inverse, un modèle spécialisé peut souvent atteindre de bonnes performances avec une échelle plus modeste, car le champ d’application plus restreint permet de limiter la complexité nécessaire. Par exemple, un modèle juridique entraîné uniquement sur des textes de loi et des décisions de justice pourrait obtenir des résultats excellents avec, disons, 6 ou 7 milliards de paramètres, là où un modèle général en mobilise 100+ milliards pour être polyvalent. Réduire d’un ordre de grandeur le nombre de paramètres signifie réduire d’autant (ou plus) les calculs requis à l’inférence, donc l’énergie par requête. En pratique, un modèle spécialisé bien conçu est souvent plus léger : ainsi Med-PaLM (modèle de Google pour le domaine médical) ou LegalBERT (modèle juridique) reposent sur des architectures de taille modérée comparées aux flagships grand public. Moins de paramètres se traduit par une empreinte mémoire et énergétique moindre. Il faut nuancer que certains domaines critiques (santé, finance) peuvent nécessiter des modèles de taille significative pour capter toutes les subtilités, mais globalement la spécialisation s’accompagne d’un allègement possible du modèle.
  • Coût d’entraînement vs réutilisation : Entraîner un modèle spécialisé à partir de rien est généralement irréaliste aujourd’hui, en raison du coût énergétique et du besoin de beaucoup de données. La pratique courante est de partir d’un LLM existant (pré-entraîné sur le général) puis de le raffiner sur le domaine cible via de l’apprentissage supplémentaire. Cette étape de fine-tuning consomme de l’énergie, mais sans commune mesure avec l’entraînement initial complet du modèle. On parle souvent de quelques GPU-heures ou TPU-heures pour affiner un modèle, contre des milliers pour l’entraînement d’origine. Par exemple, affiner un modèle de 7 Md de paramètres sur un corpus médical peut nécessiter quelques centaines de kWh, là où le pré-entraînement du modèle de base en avait demandé des milliers. Ainsi, réutiliser un modèle général pour un usage spécialisé évite de “re-dépenser” l’énorme coût de base. C’est une forme de mutualisation : le coût énergétique de GPT-3 a été “payé” une fois, et ensuite des dérivés spécialisés peuvent être obtenus à frais énergétiques modérés. Cela plaide en faveur de modèles fondation généralistes partagés, puis spécialisés pour chaque tâche importante plutôt que de réentraîner plusieurs gros modèles séparés.
  • Efficacité lors de l’inférence : Un modèle spécialisé répond généralement à un type de requête plus homogène. Il peut donc être optimisé dans sa manière de générer des réponses. Par exemple, un chatbot éducatif entraîné pour de brèves explications pourra avoir un style de réponse concis, là où un modèle généraliste pourrait fournir des réponses plus verbeuses pour le même type de question. Cette concision se traduit par moins de tokens générés, donc moins de calculs. Des observations empiriques montrent qu’un modèle affiné sur un style ou un format particulier consommera moins de ressources par requête qu’un modèle générique qui “découvre” le format au vol (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard) (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard). En outre, le déploiement d’un modèle spécialisé peut se faire sur une infrastructure calibrée sur sa taille. Par exemple, une application hospitalière peut faire tourner un modèle médical sur un serveur interne avec 4 GPU, alors qu’utiliser GPT-4 via API impliquerait de mobiliser d’énormes serveurs distants pour chaque requête. Le choix du modèle influence donc directement les ressources mises en jeu à l’utilisation.

En résumé, spécialiser un LLM (via fine-tuning ou entraînement dédié) est une stratégie payante énergétiquement lorsque le cas d’usage est circonscrit. Le modèle spécialisé tend à être plus petit, à nécessiter un effort de calcul réduit par rapport à un modèle généraliste de même performance sur le domaine ciblé, et évite de solliciter systématiquement les gros modèles généraux pour des besoins spécifiques. La contrepartie est qu’il faut multiplier les modèles (un par domaine), ce qui complexifie la maintenance, mais tant que chaque modèle demeure raisonnable en taille, l’empreinte cumulée peut rester inférieure à celle d’un unique monstre utilisé à tout faire. Par exemple, on peut imaginer qu’un hôpital utilise un LLM médical de 6 Md de paramètres localement (entraînement affiné sur données médicales, respectant la vie privée) pour les cas médicaux, et n’appelle un service cloud généraliste que pour des questions hors du domaine médical. Cela cloisonne la consommation intensive aux seuls cas nécessaires. De même, dans l’éducation, des modèles open source spécialisés par matière (littérature, mathématiques) pourraient suppléer un grand modèle universel et fonctionner sur des serveurs institutionnels modestes, réduisant la dépendance à un grand modèle externe énergivore.

Modèles grand public vs modèles affinés : impact du RAG et du fine-tuning léger

Outre la spécialisation par domaine, il convient de distinguer l’utilisation d’un modèle “brut” grand public (tel quel) par rapport à un modèle affiné par des techniques d’adaptation efficaces. Deux approches majeures se dégagent en 2025 pour adapter les LLM tout en limitant la consommation : le RAG (Retrieval-Augmented Generation) et le fine-tuning léger (ajustements mineurs du modèle, ex. LoRA, prompt tuning). Ces méthodes cherchent à tirer le maximum d’un modèle existant sans augmenter indûment les calculs.

  • Retrieval-Augmented Generation (RAG) : Le principe du RAG est d’associer le LLM avec une base de connaissances externe interrogeable. Plutôt que d’augmenter la taille du modèle pour qu’il “sache tout”, le modèle reste de taille modérée et va chercher des informations pertinentes dans une base de documents lorsqu’il traite une question. Concrètement, face à une requête utilisateur, un module de recherche extrait quelques documents ou passages pertinents (par exemple via une recherche textuelle classique ou un index vectoriel), ces éléments sont fournis en contexte au LLM qui les utilise pour formuler sa réponse. L’impact sur la consommation est double : (1) le LLM peut être beaucoup plus petit qu’un modèle qui devrait contenir en mémoire tous ces faits (puisqu’il compense par l’accès externe), et (2) le coût de la recherche dans la base de connaissances est généralement bien moindre que de générer la même connaissance via un très grand modèle. Des travaux de DeepMind ont montré qu’un modèle de seulement 7 milliards de paramètres couplé à un mécanisme de recherche pouvait rivaliser en performance avec un modèle de 175 milliards sans recherche sur certaines tâches de question-réponse (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports) (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports). Cela signifie potentiellement des ordres de grandeur d’efficacité gagnés : interroger une base documentaire (par ex. une recherche ElasticSearch ou FAISS) coûte en général quelques millisecondes de calcul CPU, très négligeable par rapport à une passe d’inférence dans un réseau géant. Le RAG évite aussi de devoir réentraîner le modèle pour lui intégrer de nouvelles données : il suffit d’ajouter ou mettre à jour les documents dans la base. Par exemple, pour un assistant sur l’actualité, plutôt que de recalculer sans cesse les poids du réseau (coûteux), on alimente une base avec les dernières nouvelles et le modèle de langage, assez générique, puisera dedans. Cela améliore l’efficience énergétique globale : moins de calcul de mise à jour et un modèle de base plus petit suffisent. En pratique, le RAG est de plus en plus utilisé dans les applications professionnelles pour réduire les coûts d’inférence : on peut utiliser un LLM open source de 7 Md param. avec RAG pour obtenir des réponses spécifiques très précises là où il aurait fallu appeler un GPT-4 autrement. Néanmoins, le RAG implique de stocker et entretenir une base de connaissances, ce qui a un coût (stockage, pré-calcul d’index), et de réaliser des recherches à chaque requête (coût non nul, mais souvent inférieur à 1 % du coût d’inférence d’un très grand modèle). Ainsi, le RAG apparaît comme une solution pragmatique pour réduire l’empreinte des LLM en production, en déportant une partie du travail vers des systèmes moins énergivores que le réseau de neurones lui-même.
  • Fine-tuning léger et alignement : Affiner légèrement un modèle peut consister à le spécialiser sur un type de tâche ou de réponse sans changer son architecture de base. Par exemple, on peut effectuer un fine-tuning dit LoRA (Low-Rank Adaptation) où l’on n’entraîne que quelques matrices additionnelles de petite taille, ou un prompt tuning où l’on apprend quelques vecteurs d’entrée optimaux, au lieu de réentraîner tous les poids du modèle. L’impact énergétique de ces méthodes est très faible comparé à un entraînement complet : on parle de modifier <1 % des paramètres, souvent en quelques heures de calcul seulement. Pourtant, cet affinement peut guider le modèle à être plus efficace dans ses réponses. Un cas concret est l’alignement de modèles de base en modèles instruct (comme la transformation de GPT-3 en InstructGPT puis ChatGPT). En calibrant le modèle pour qu’il suive mieux les instructions et qu’il s’arrête dès qu’il a répondu, on évite les sorties inutilement longues ou hors-sujet. Des analyses ont montré que les modèles fine-tunés “instruct” produisent des réponses plus concises, ce qui réduit la charge de calcul par requête (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard) (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard). Là où un modèle non affiné pourrait divaguer ou répéter du texte (consommant des tokens pour rien), un modèle bien affiné termine sa réponse plus tôt et consomme moins d’énergie. Par exemple, la version fine-tunée de Llama-2 orientée dialogue s’arrête proprement grâce à un token EOS (End of Sequence), alors que la version brute de Llama-2 pourrait continuer de générer du texte inutilement jusqu’à la limite de longueur (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard). Ce genre de verbiage évité se traduit directement en économies de calcul (pas de génération superflue). De plus, un modèle aligné commet moins d’erreurs flagrantes, nécessitant moins de requêtes répétées pour obtenir la bonne information – ce qui est aussi un facteur d’économie d’énergie côté utilisateur. Enfin, le fine-tuning léger peut aussi consister à pruner légèrement le modèle (voir section suivante) ou à activer uniquement certaines composantes utiles. En somme, adapter un modèle pré-entraîné de façon ciblée permet de réduire son empreinte énergétique à l’usage sans sacrifier sa performance, et souvent même en l’améliorant. C’est une démarche “gagnant-gagnant” : on exploite pleinement ce qui a été pré-calculé lors de l’entraînement initial, en minimisant la surcompensation en calcul lors de l’inférence. À l’échelle industrielle, cela signifie que plutôt que d’appeler systématiquement un modèle géant non optimisé, on peut déployer des variantes affinées bien plus sobres pour chaque cas d’utilisation spécifique, tout en gardant la possibilité de faire appel au grand modèle seulement en dernier recours si nécessaire.

Techniques d’optimisation énergétique des LLM en 2024-2025

Face à la montée des coûts énergétiques des LLM, la recherche et l’industrie ont développé de nombreuses techniques pour améliorer l’efficacité des modèles, sans trop dégrader leur performance. Parmi les approches actuelles les plus utilisées :

  • Quantification des poids (quantization) : Il s’agit de réduire la précision numérique utilisée pour représenter les paramètres et calculs du modèle. Plutôt que des nombres en virgule flottante 32 bits, on utilise par exemple des entiers codés sur 8 bits, voire 4 bits. Cette compression réduit drastiquement la mémoire occupée et accélère les calculs sur du matériel compatible, entraînant une baisse de la consommation électrique. Les dernières générations de GPU (NVIDIA H100, etc.) supportent nativement l’arithmétique en FP8/INT8, permettant un gain d’efficacité de l’ordre de 2 à 4× par rapport au FP16. Des expérimentations ont montré qu’on peut quantifier un LLM en 8 bits sans perte notable de précision (Energy-Aware LLMs: A step towards sustainable AI for downstream applications This work was supported by NSERC (under project ALLRP 566589-21) and InnovÉÉ (INNOV-R) through the partnership with Ericsson and ECCC.) (Energy-Aware LLMs: A step towards sustainable AI for downstream applications This work was supported by NSERC (under project ALLRP 566589-21) and InnovÉÉ (INNOV-R) through the partnership with Ericsson and ECCC.). Mieux, pour les inférences, des techniques de quantification extrême (4 bits) sont utilisées sur des modèles open source, réussissant à faire tenir un modèle de 65 Md de paramètres sur une seule carte GPU grand public avec des performances acceptables. Cela rend non seulement l’IA plus accessible, mais aussi moins énergivore à exécuter. Il est toutefois apparu que la relation entre précision numérique et énergie n’est pas linéaire : par exemple, une étude a observé qu’en phase d’entraînement/fine-tuning, le format 16 bits était parfois plus efficace énergétiquement que le 8 bits (Energy-Aware LLMs: A step towards sustainable AI for downstream applications This work was supported by NSERC (under project ALLRP 566589-21) and InnovÉÉ (INNOV-R) through the partnership with Ericsson and ECCC.) (Energy-Aware LLMs: A step towards sustainable AI for downstream applications This work was supported by NSERC (under project ALLRP 566589-21) and InnovÉÉ (INNOV-R) through the partnership with Ericsson and ECCC.), possiblement car le matériel est optimisé pour le 16 bits et qu’en 8 bits le modèle faisait un peu plus d’itérations pour converger. Néanmoins, en phase d’inférence, l’usage de l’INT8 ou plus bas reste un levier majeur : globalement on peut espérer des réductions d’énergie de ~40 % en passant de 32 bits à 16 bits, et davantage en allant vers 8 bits (Energy-Aware LLMs: A step towards sustainable AI for downstream applications This work was supported by NSERC (under project ALLRP 566589-21) and InnovÉÉ (INNOV-R) through the partnership with Ericsson and ECCC.) (Energy-Aware LLMs: A step towards sustainable AI for downstream applications This work was supported by NSERC (under project ALLRP 566589-21) and InnovÉÉ (INNOV-R) through the partnership with Ericsson and ECCC.). La quantification est donc devenue une pratique standard pour déployer des LLM : elle permet de servir plus de requêtes avec la même puissance, ou de faire tourner un modèle sur du matériel plus modeste (ex : exécuter un LLM 7B 4-bit sur smartphone, ce qui était inimaginable en 2020). À l’avenir, on s’attend à ce que le 4-bit voire le binaire pour certaines parties du modèle soient exploités pour maximiser l’efficacité.
  • Élagage de modèle (pruning) : Les LLM comportent souvent des redondances dans leurs poids ou leur structure. Le pruning consiste à supprimer les neurones ou connexions peu utiles afin d’alléger le réseau. Il peut être non structuré (on met à zéro un certain pourcentage de poids individuels jugés faibles) ou structuré (on supprime carrément des unités complètes : neurones, têtes d’attention, etc. entières). L’intérêt est de réduire le nombre d’opérations nécessaires. Des chercheurs ont réussi à compresser les couches transformeur jusqu’à 70 % sans perte significative de performance en combinant des techniques avancées de pruning (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports) (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports). Par exemple, LLM-Pruner (2023) montre qu’on peut enlever de 20 à 40 % des paramètres d’un modèle comme GPT-2 tout en maintenant voire améliorant légèrement la performance (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports) (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports). Moins de paramètres actifs signifie moins de calculs et de mémoire à mobiliser. En pratique, on obtient une latence réduite et une consommation électrique moindre proportionnellement à la réduction. Un élagage modéré (quelques dizaines de pourcents) est souvent indétectable sur les métriques de qualité, ce qui indique que beaucoup de poids n’étaient pas essentiels. Cependant, un pruning trop agressif peut dégrader la compréhension fine du modèle. C’est pourquoi on voit émerger des approches de pruning itératif ou basé sur des critères intelligents (importance des poids, sensibilité au contexte, etc.) ([PDF] The impact of LLM pruning for fine-tuning – Stanford University) ([PDF] The impact of LLM pruning for fine-tuning – Stanford University). Combiné à la quantification, le pruning peut aboutir à des gains cumulatifs : par exemple, quantifier en 8-bit et pruner 30 % d’un modèle pourrait le faire tourner ~3-4× plus vite. Notons qu’en 2024, on explore même des méthodes de pruning sans avoir besoin de réentraîner après (pruning à froid), ce qui facilite l’adoption directe sur des modèles pré-entraînés (Towards Efficient Structured Pruning for LLMs Without Retraining). En somme, l’élagage est un outil crucial pour rendre les LLM plus légers et plus rapides, donc plus sobres énergétiquement, tout en adaptant le modèle à l’essentiel de la tâche.
  • Routage adaptatif et calcul conditionnel : Une autre voie prometteuse pour économiser de l’énergie est de n’utiliser qu’une partie du modèle pour chaque requête, au lieu d’activer l’intégralité des milliards de paramètres systématiquement. C’est l’idée des mixtures of experts (MoE) et des architectures sparses. Par exemple, le modèle GLaM de Google (2021) ou le Switch Transformer utilisaient un ensemble d’experts spécialisés et un mécanisme de routage qui dirigeait chaque token d’entrée vers quelques experts seulement. Ainsi, bien que le modèle total ait des trillions de paramètres, chaque token n’en traverse qu’une fraction (ex : 8 experts sur 64), ce qui réduit le calcul par token (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Cette approche de calcul conditionnel vise à adapter la dépense de calcul à la difficulté ou la nature du prompt : un prompt simple n’activerait qu’un petit sous-ensemble de neurones, tandis qu’une question très complexe en activerait davantage. En 2025, ces techniques sont encore en développement : les MoE ont parfois introduit de la complexité (charge de communication élevée entre experts) et toutes les requêtes ne se prêtent pas aisément à un routage statique. Cependant, on voit apparaître des mécanismes plus fins : par exemple des modèles capables de sauter des couches si l’information est déjà suffisamment capturée (mécanismes d’early exit adaptatif), ou d’autres qui sélectionnent dynamiquement la profondeur de raisonnement nécessaire. Cela revient à dire qu’on n’a pas toujours besoin de mobiliser l’ensemble de la puissance du LLM pour chaque tâche. Un exemple concret est l’inférence avec budget adaptatif : le modèle calcule une métrique de confiance au fur et à mesure de la génération, et peut décider d’arrêter le calcul quand la réponse est jugée satisfaisante. Si implémenté correctement, cela peut économiser jusqu’à 30 % des calculs en moyenne sur des requêtes où la fin de la réponse est prévisible. Le routage adaptatif en fonction du prompt peut aussi prendre la forme d’une sélection de modèle : un orchestrateur analyse la question et choisit d’appeler soit un petit modèle spécialisé (peu énergivore) soit le grand modèle complet seulement si nécessaire. Par exemple, un assistant pourrait d’abord essayer une base de connaissances factuelle (type RAG avec modèle léger) et ne solliciter GPT-4 que si la réponse requiert des capacités créatives poussées. Ce deuxième niveau n’est appelé que dans X % des cas, réduisant d’autant les requêtes au modèle lourd. Bien que transparents pour l’utilisateur, ces systèmes hybrides sont très efficaces pour réduire la consommation car ils évitent le surcoût du gros modèle sur les questions faciles. En résumé, le principe sous-jacent est de moduler la quantité de calcul dépensée en fonction du besoin, plutôt que d’avoir une approche one-size-fits-all toujours calculatoirement maximale. C’est une piste alignée avec l’efficacité énergétique : ne consommer que ce qu’il faut, quand il le faut.
  • Optimisation de l’infrastructure et du code : Au-delà des modifications du modèle lui-même, de grands gains sont obtenus via l’amélioration de l’environnement d’exécution. Cela inclut l’horaire et la localisation des tâches (on l’a mentionné : exécuter les entraînements dans des zones à énergie propre, ou la nuit lorsque la demande est basse), l’optimisation du code (compilateurs spécialisés, fusion d’opérations pour réduire les allers-retours en mémoire, utilisation efficace des caches…), et le développement de matériel dédié. Sur ce dernier point, Google a introduit les TPU qui offrent un meilleur rendement énergétique que les GPU pour l’entraînement de réseaux de langage (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). D’autres acteurs développent des ASIC IA sur mesure (Graphcore IPU, Cerebras WSE, etc.) visant à accroître le nombre d’opérations par joule. Si un nouveau matériel double l’efficacité, c’est autant d’énergie économisée pour le même travail. En parallèle, la gestion fine des ressources dans les data centers contribue : par exemple, allouer de façon plus dense les jobs de calcul évite de faire tourner inutilement des serveurs à vide (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Éteindre ou ralentir les machines non utilisées immédiatement peut sembler évident, mais nécessite des orchestrations logicielles avancées. Des chercheurs étudient même la possibilité de faire tourner les processeurs à vitesse réduite pour économiser l’énergie sur les tâches non urgentes (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Dans un entraînement qui peut durer plusieurs jours, baisser légèrement la fréquence des GPU la nuit (quitte à rallonger la durée) pourrait diminuer la consommation sans impact sur le résultat final. Enfin, des méthodes de précision adaptative calculent si le modèle a vraiment besoin d’une haute précision tout au long de l’apprentissage : souvent les premières phases peuvent être en basse précision et affiner en haute précision sur la fin, réduisant le coût global. L’ensemble de ces optimisations, bien que moins visibles que les changements d’architecture, représentent une part importante des efforts pour rendre les LLM plus efficaces énergétiquement.

En combinant ces diverses techniques, l’état de l’art parvient à diminuer de manière drastique l’empreinte énergétique d’un LLM donné. Par exemple, un modèle initial pourrait être quantifié en 8-bit, pruné de 30 %, et exécuté sur TPU alimenté par de l’hydroélectricité : il consommera une fraction de l’énergie et aura une empreinte carbone quasi nulle, comparé au même modèle non optimisé en 32-bit sur GPU classique dans un data center au charbon. Chaque étape compte pour progresser vers des LLM éco-efficients.

Vers des LLM plus « éco-responsables » : initiatives et état de l’art (2024-2025)

Conscient de l’impact climatique de l’IA, le secteur connaît en 2024-2025 un mouvement vers des LLM éco-responsables. Cela se traduit par des efforts de transparence, des engagements industriels à réduire l’empreinte carbone, et des avancées scientifiques pour concilier performance et sobriété.

Du côté des grands fournisseurs, les cloud providers ont pris des engagements forts sur l’alimentation de leurs centres de données. Microsoft, Google, Amazon annoncent tous des objectifs de fonctionnement à 100 % d’énergie sans carbone d’ici 2030 (voire 2025 pour Microsoft) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). En pratique, cela implique d’investir massivement dans les énergies renouvelables, d’acheter des crédits verts et d’optimiser la localisation des charges de travail. Déplacer l’entraînement d’un LLM vers une région où l’électricité est bas-carbone permet de réduire immédiatement son empreinte. On l’a vu avec l’exemple Bloom vs GPT-3 : entraîner Bloom en France sur du nucléaire a abouti à 20× moins d’émissions que GPT-3 sur le mix électrique US (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Google a même expérimenté de planifier certaines tâches d’IA en fonction de la disponibilité d’énergie solaire ou éolienne sur ses différents sites, via un shifting des charges vers les endroits/horaires les plus verts (To power AI, data centers need more and more energy | The Current) (To power AI, data centers need more and more energy | The Current). Cela reste difficile à généraliser (les entraînements ne sont pas toujours flexibles temporellement), mais pour les tâches d’inférence différées ou d’autres traitements batch, c’est une piste réelle. D’un point de vue plus large, la consommation des data centers dans le monde continue d’augmenter (on l’estime autour de 1 % de la consommation électrique mondiale actuellement (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet)), et l’essor des LLM y contribue fortement. Sans actions d’efficacité, on craint une explosion : on projette une augmentation de ~28 % de la consommation des data centers européens d’ici 2030 (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) sous l’effet de l’IA. Les grands acteurs tentent donc de stabiliser l’impact malgré la croissance de la demande. Ils investissent dans des systèmes de refroidissement innovants (liquide, immersion) pour réduire le 40 % d’énergie souvent consacré à la climatisation des serveurs (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). On voit aussi renaître l’intérêt pour des sources d’énergie alternatives stables comme le nucléaire (y compris de petits réacteurs modulaires dédiés à des data centers) pour alimenter localement les installations IA sans CO₂ (To power AI, data centers need more and more energy | The Current) (To power AI, data centers need more and more energy | The Current). En parallèle, des startups comme HuggingFace ou des consortiums académiques développent des outils pour mesurer et suivre l’empreinte carbone des entraînements. Par exemple, l’outil CodeCarbon ou le tableau de bord Experiment Tracker permettent aux chercheurs de savoir combien de kWh et de CO₂ a coûté l’entraînement de leur modèle. Cette prise de conscience outille la communauté pour faire des choix plus éclairés.

En matière de recherche, on constate en 2024-2025 une orientation vers des modèles plus efficients plutôt que simplement plus grands. Le paradigme “bigger is better” est nuancé par le paradigme “better use of compute”. Un tournant avait été amorcé avec le modèle Chinchilla de DeepMind (2022) qui a démontré qu’à budget de calcul fixe, il vaut mieux un modèle moins grand mais entraîné sur plus de données qu’un modèle trop grand sous-entraîné. Ce genre de résultat encourage à optimiser l’allocation des ressources de calcul plutôt que d’augmenter aveuglément la taille. De plus, des défis comme le BabyLM Challenge (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet) explorent la possibilité d’entraîner des LLM à partir de jeux de données très réduits (quelques centaines de milliers de mots, imitant le langage acquis par un enfant) afin de comprendre comment atteindre une compétence utile avec un minimum de données et d’énergie. Bien que symbolique, ce défi montre un intérêt pour la frugalité en IA : et si au lieu d’entraîner sur 300 milliards de tokens on pouvait en utiliser 10 000 fois moins ? Les techniques de pruning, distillation et autres compressions que nous avons évoquées se multiplient dans les publications récentes, souvent avec en ligne de mire l’objectif de rendre les LLM déployables sur des appareils à ressources limitées (Towards Efficient Large Language Model via Energy-aware Pruning) (Towards Efficient Large Language Model via Energy-aware Pruning) (smartphones, etc.), ce qui impose une sobriété. On parle désormais de Green AI, un courant initié en 2020 qui prône des mesures de l’efficacité non seulement en termes de précision mais aussi en termes de coût énergétique. En 2023, des équipes ont proposé des métriques comme “emissions score” ou “joules per inference” à intégrer dans les benchmarks de modèles (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard) (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard). Par exemple, le HuggingFace Open LLM Leaderboard commence à inclure des estimations d’empreinte carbone des modèles lors de certains tests, mettant en valeur les modèles ouverts fine-tunés qui réussissent à être à la fois performants et moins coûteux en énergie (CO₂ Emissions and Models Performance: Insights from the Open LLM Leaderboard). Cette mise en concurrence bienveillante sur le critère de l’efficacité pourrait faire émerger une culture de l’optimisation énergétique dans le développement de modèles.

Enfin, plusieurs initiatives industrielles spécifiques méritent d’être soulignées : Meta AI a surpris en open-sourçant ses modèles LLaMA de grande taille, ce qui, paradoxalement, peut favoriser l’innovation en efficacité. En permettant à n’importe quel chercheur d’explorer LLaMA, on a vu fleurir des dérivés quantifiés, compressés, spécialisés, souvent bien plus légers (Alpaca, GPTQ, etc.). Cette ouverture a créé un écosystème où l’on cherche à faire mieux avec moins sur la base de grands modèles existants. OpenAI, de son côté, a investi dans l’infrastructure matérielle (partenariat avec Microsoft Azure qui construit des centres spécifiquement optimisés pour GPT-4) et travaille sur des algorithmes d’entraînement plus efficaces (optimiseurs adaptatifs, mélange de précision). Même si OpenAI reste discret sur ses avancées, on peut supposer qu’une part significative de leurs 100 millions $ de coût d’entraînement de GPT-4 a servi à améliorer l’efficience du processus. Anthropic (Claude) a évoqué s’intéresser aux modèles scalable sans augmenter indéfiniment le paramétrage, et met en avant l’utilisation d’énergie propre pour ses calculs (via les crédits carbone de son hébergeur Google Cloud). De plus, la notion de responsabilité sociétale pousse ces entreprises à au moins compenser les émissions résiduelles par des programmes de reforestation ou d’investissement dans le renouvelable. Bien sûr, la compensation n’est pas la solution idéale, il vaut mieux réduire à la source. Sur ce plan, des projets comme CLIMATE AI ou des consortiums européens encouragent la mutualisation de modèles pour éviter que chaque acteur réentraîne son propre LLM de zéro (éviter la duplication des coûts énergétiques). Le projet BigScience (ayant produit Bloom) s’inscrivait dans cette logique collaborative et ouverte.

Un autre aspect de l’éco-responsabilité est la consommation d’eau dans les data centers, souvent ignorée. En 2023, une étude a révélé que ChatGPT “boit” environ 500 mL d’eau tous les 20 à 50 prompts traités en raison du refroidissement des serveurs, et qu’en entraînement il a pu consommer jusqu’à 700 000 litres d’eau (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports) (Efficient self-attention with smart pruning for sustainable large language models | Scientific Reports). Des entreprises comme Microsoft commencent à publier des données sur l’eau consommée par leurs centres et cherchent des moyens de recycler la chaleur ou d’utiliser des boucles d’eau fermées pour limiter cet impact. C’est un rappel que l’empreinte environnementale des LLM ne se limite pas au CO₂ : il y a aussi des ressources locales (eau, minéraux pour les GPU, etc.) à prendre en compte dans l’équation de la soutenabilité.

Transparence des données de consommation : le défi des grands acteurs de l’IA

Malgré les progrès et engagements affichés, obtenir des données précises sur la consommation énergétique des LLM reste un parcours du combattant. La transparence des grands acteurs de l’IA en la matière est limitée, ce qui complique l’évaluation objective de leur empreinte écologique.

D’une part, les entreprises invoquent souvent des raisons de concurrence et de sécurité pour ne pas divulguer certains détails techniques de leurs modèles – malheureusement, cela inclut généralement les informations liées aux ressources utilisées. Par exemple, OpenAI n’a pas communiqué officiellement le nombre de paramètres, la durée d’entraînement ni l’énergie consommée pour GPT-4, arguant que cela pourrait révéler des éléments de propriété intellectuelle ou servir à des usages malveillants. Par conséquent, les chiffres que nous citons (comme les 7,5 MWh évoqués) proviennent soit d’estimations externes, soit d’analogies, et non de données publiées par OpenAI. De même, Google n’a pas détaillé publiquement la consommation exacte de l’entraînement de PaLM ou de Gemini, même si elle a partagé des efficiency metrics relatives. Cette opacité empêche la communauté scientifique et le public de bien saisir l’impact réel des avancées en LLM.

Il y a heureusement des contre-exemples : des efforts collaboratifs comme le projet BigScience ont choisi dès le départ de documenter rigoureusement l’empreinte de leur modèle Bloom. Le rapport de Bloom indique le nombre de GPU-heures utilisées, l’énergie totale et le bilan carbone final (25 tCO₂, intégralement compensées) (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). De même, des entreprises comme Hugging Face militent pour que chaque publication de modèle soit accompagnée d’une “carte d’efficacité”, un peu comme une étiquette énergie d’électroménager, listant le CO₂ émis, l’énergie consommée, etc. Dans la pratique, on est encore loin d’une standardisation. Un groupe de chercheurs de Stanford, de Facebook et de McGill a développé un outil de suivi de l’énergie et du CO₂ émis pendant l’entraînement, afin de standardiser les mesures et permettre les comparaisons (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). Ce tracker, intégré à certains frameworks, pourrait inciter les développeurs à mesurer systématiquement ces paramètres. Microsoft propose à ses clients un tableau de bord d’empreinte carbone sur Azure (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet), qui leur montre la quantité de CO₂ émise par leurs opérations cloud – y compris potentiellement l’entraînement de modèles – ce qui est un pas vers la transparence pour l’utilisateur final, mais ces données ne sont pas rendues publiques de manière agrégée.

Un enjeu clé est que sans transparence, il est difficile de responsabiliser les acteurs ou de suivre les progrès. Si chaque compagnie annonce “nous sommes plus efficaces que l’an dernier” sans donner de chiffres, on ne peut pas vérifier ces dires ni identifier les meilleures pratiques. La communauté scientifique plaide pour que les conférences et journaux exigent dans les articles liés aux LLM un Energy Impact Statement, tout comme on demande un statement sur les implications éthiques. Certaines conférences (NeurIPS, ICML) commencent à encourager les auteurs à mentionner les FLOPs ou l’énergie consommée par leurs expériences. Toutefois, au-delà de la recherche, ce sont bien les modèles déployés à large échelle (ceux des GAFAM et consorts) qui concentrent l’essentiel de la consommation, et c’est là que la transparence fait défaut.

On note aussi que même lorsque des chiffres sont communiqués, il faut rester vigilant quant à leur interprétation. Par exemple, annoncer un pourcentage de réduction d’empreinte sans préciser la base peut être trompeur (“50 % de CO₂ en moins” par rapport à quoi ?). Ou annoncer un modèle “zéro carbone” alors qu’il a en réalité consommé des mégawattheures mais a été compensé par des crédits carbone – ce n’est pas la même chose que zéro énergie dépensée. La standardisation des mesures est donc primordiale : faut-il communiquer les kWh, les tCO₂, prendre en compte l’amont de la fabrication du hardware ? Ce débat rappelle celui de l’empreinte des véhicules électriques (bilan en cycle de vie complet). Pour l’instant, on manque de données, ce qui ralentit aussi la prise de conscience publique. Un sondage informel montrerait sans doute que la plupart des usagers de ChatGPT ignorent que l’IA a un coût énergétique, faute de communication claire.

En résumé, améliorer la transparence est devenu un impératif pour l’IA responsable. « On ne peut pas résoudre un problème si on ne le mesure pas », rappellent les experts (AI’s Growing Carbon Footprint – State of the Planet). La pression monte sur les leaders de l’IA pour qu’ils partagent au moins des ordres de grandeur de l’empreinte de leurs modèles. Des initiatives réglementaires pourraient surgir : l’Union Européenne, dans son AI Act en discussion, envisage d’inclure des exigences de documentation environnementale pour les systèmes d’IA à grande échelle. Si cela se concrétise, des acteurs comme OpenAI ou Google pourraient être tenus de fournir des rapports d’impact. D’ici là, on dépend de fuites, d’estimations et du bon vouloir des entreprises pour obtenir ces informations. La situation évolue toutefois positivement grâce à la combinaison de la conscience climatique générale et de l’intérêt grandissant de la communauté IA pour ces questions.

Perspectives d’évolution sur 2-3 ans

À l’horizon 2025-2027, plusieurs tendances se dessinent pour réduire l’empreinte énergétique des modèles de langage tout en poursuivant les progrès en IA. Voici quelques perspectives probables, à la lumière des dynamiques actuelles :

  • Équilibrage entre taille de modèle et efficacité : La course effrénée à l’augmentation du nombre de paramètres pourrait ralentir. Non pas que les très grands modèles disparaîtront, mais on cherchera à tirer plus de connaissance par paramètre. Les futurs travaux s’attacheront à augmenter la qualité du pré-entraînement (données plus pertinentes, meilleures architectures) plutôt que la quantité brute. On peut s’attendre à ce que les modèles leaders en 2027 ne soient pas beaucoup plus gros que GPT-4, mais qu’ils soient nettement plus habiles et efficients grâce à des entraînements mieux pilotés et à l’intégration de modules externes (mémoire, retrieveurs). En somme, le rendement du calcul va redevenir central dans l’évaluation des avancées, freinant la croissance exponentielle de la consommation.
  • Diffusion des bonnes pratiques d’optimisation : Les techniques d’efficience évoquées (quantization, pruning, etc.) vont se généraliser dans tous les déploiements industriels. Il deviendra standard qu’un LLM soit servi en 8 bits quantifié, sauf rares cas sensibles. De plus, l’entraînement collaboratif va se renforcer : au lieu que dix entreprises entraînent chacune un modèle de 100 Md paramètres sur le même jeu de données public, on verra possiblement plus de projets partagés ou d’accès multi-parties aux mêmes modèles (via API ou consortium). Cela évitera des dépenses énergétiques redondantes. On peut imaginer par exemple un grand modèle open source soutenu par un groupement international, mis à jour périodiquement, que chacun utilise et fine-tune de son côté au lieu de réentraîner un clone. Un tel scénario économiserait globalement énormément de ressources.
  • Modèles spécialisés et edge AI en essor : On verra sans doute émerger de nombreux petits LLM spécialisés ultra-optimisés pour des tâches précises, tournant directement sur des appareils ou des serveurs locaux. Par exemple, des LLM embarqués dans les smartphones haut de gamme pour la complétion de texte ou l’assistance vocale hors-ligne. Qualcomm a déjà démontré en 2023 la faisabilité de faire tourner un modèle de 10 Md de paramètres sur un téléphone en quelques secondes par requête grâce à la quantification et à des DSP dédiés. D’ici 2 ans, ces capacités pourraient être intégrées nativement aux SoC mobiles, permettant d’avoir un ChatGPT personnel qui ne consomme qu’une petite fraction de ce qu’un appel réseau à un datacenter coûterait. Cela réduira d’autant la charge sur les data centers. En parallèle, dans les entreprises, on peut s’attendre à une internalisation partielle des LLM : beaucoup d’organisations voudront leur propre modèle ajusté, hébergé sur des machines qu’elles contrôlent, notamment pour réduire la facture cloud. Cette décentralisation, si elle se fait avec des modèles efficients, peut être bénéfique à l’échelle globale (moins de transport de données, utilisation de périodes creuses locales, etc.).
  • Avancées matérielles significatives : Sur 2-3 ans, on verra les effets de la nouvelle génération de composants : GPUs 2025-2026 encore plus orientés IA, multiplication des TPU-like par divers acteurs, et potentiellement des premiers essais de calcul analogique ou photONique pour les réseaux de neurones. Si par exemple un calculateur optique peut exécuter les multiplications matrice plus efficacement, cela pourrait abaisser une barrière importante de la consommation (les opérations de dot product). Il est possible que des systèmes neuromorphiques fassent leur entrée pour des modèles spécialisés (faible précision mais ultra-rapides et sobres). Toutefois, en 2 ans, ces alternatives ne seront sans doute pas encore largement déployées pour les LLM grand public, mais peut-être en phase pilote. Côté refroidissement et énergie, on pourrait voir plus d’intégration avec des réseaux électriques intelligents : un data center orientera dynamiquement ses charges IA en fonction du coût instantané de l’énergie, etc. Ceci grâce à l’IA elle-même, bouclant la boucle vers une optimisation systémique.
  • Mécanismes de régulation et incitations : Il y a fort à parier que les pouvoirs publics ne resteront pas inactifs. Face à la visibilité médiatique de l’empreinte carbone de l’IA, des normes ou labels pourraient émerger. Par exemple, un label “AI for Green” valorisant les modèles ayant un certain score d’efficacité ou utilisant X% d’énergie renouvelable. Des institutions pourraient exiger, dans les appels d’offres, que les solutions IA proposées fournissent leur coût énergétique prévisionnel. En Europe, le débat sur un éventuel “GPU tax” (taxe ou quota sur les gros entraînements consommatrices de ressources) pourrait resurgir si l’IA venait menacer les objectifs climatiques. Plus positivement, des concours d’innovation verte orientés IA pourraient encourager des architectures sobres : on peut imaginer un challenge style “Traduire 1000 phrases en consommant <1 kWh”. Ce genre d’initiatives stimulerait la créativité en efficacité.
  • Transparence accrue et conscience utilisateur : Dans 3 ans, il est possible que les utilisateurs finaux soient mieux informés de l’impact de leurs requêtes IA. Par analogie aux affichages “1 h de streaming vidéo = X g CO₂”, on pourrait voir dans certaines interfaces une indication que “Cette réponse a consommé Y joules d’énergie”. Si ChatGPT ou ses concurrents affichaient ne serait-ce qu’un petit symbole éco quand on pose 10 questions inutiles, cela pourrait inciter à une consommation plus responsable du service. La pédagogie autour de la sobriété numérique gagnera sans doute du terrain. Tout comme on a appris à éteindre la lumière en sortant d’une pièce, on apprendra à ne pas spammer une IA de requêtes triviales par simple désœuvrement, surtout si cela coûte en ressources. La pression communautaire et médiatique poussera les entreprises à se vanter de leurs réductions d’empreinte (à juste titre, espérons, et pas en greenwashing). Dans le meilleur des cas, on pourrait assister à une compétition vertueuse pour “l’IA la plus efficace” plutôt que seulement “la plus puissante”.

En conclusion, l’année 2025 marque un tournant où la question énergétique des LLM est devenue impossible à ignorer. Les chiffres parfois vertigineux de leur consommation ont suscité autant l’inquiétude que l’ingéniosité pour y remédier. En distinguant bien les phases (entraînement vs inférence) et les contextes (cloud vs edge), en adaptant les modèles à leur usage (généraliste vs spécialisé, affiné par RAG ou tuning), et grâce aux multiples optimisations aujourd’hui disponibles, il est envisageable de contenir l’empreinte des modèles de langage tout en continuant à bénéficier de leurs avancées. Les initiatives industrielles et scientifiques en cours montrent qu’efficacité peut rimer avec intelligence artificielle. Les prochaines années seront décisives pour concilier la révolution des LLM avec les impératifs de durabilité : c’est un défi technologique autant qu’éthique, qui mobilise désormais l’ensemble de l’écosystème de l’IA. En fin de compte, l’objectif est clair : des LLM plus sobres, transparents et responsables, au service de tous, mais pas aux dépens de la planète.